RGAA 4.1 : vers une dérive administrative de la conformité ?

Devant son ordinateur, une femme se tient la tête. Plusieurs flèches se dirigent vers elle.

Nous sommes fin août, la rentrée 2019 bien que toute proche n’est pas encore là. Pourtant l’évolution du référentiel français d’accessibilité numérique (RGAA) se poursuit. Et ce n’est pas sans soulever quelques inquiétudes du côté de Koena…

Avant de partager avec vous nos inquiétudes, nous vous proposons une remise en contexte pour comprendre de quoi nous parlons. Pour celles et ceux qui maîtrisent déjà les référentiels d’accessibilité numérique, vous pouvez vous rendre directement à la section « Quel est le problème avec la future version du référentiel français : le RGAA 4.1 ? ».

RGAA : qu’est-ce que c’est ?

Le référentiel général d’amélioration de l’accessibilité, abrégé RGAA (et prononcé souvent RG2A) est une méthode technique d’évaluation de l’accessibilité numérique.

À l’origine, RGAA signifiait « Référentiel général d’accessibilité pour les administrations« . Cependant, la loi ayant étendu le champ d’application y compris au secteur privé, le référentiel a lui même changé de nom.

À quoi sert un référentiel technique d’accessibilité numérique ?

La loi dit ce qu’il faut faire pour que le numérique évite toute discrimination envers les personnes handicapées. Elle pose les objectifs à atteindre, les grands principes, précisés ensuite par décret et arrêté. Des représentants d’une société vote la loi. Les exigences fixées correspondent au degré d’importance accordé par les pouvoirs publics à ce sujet. Les législateurs ne sont pas des techniciens du numérique.

Un référentiel technique explique la technique pour rendre un outil numérique compatible avec les besoins des personnes handicapées. Comment faire pour que ça fonctionne sans exclure quiconque. Ces référentiels sont conçus et rédigés par des spécialistes techniques, souvent en association avec des représentants des usagers (gestionnaires de services numériques et personnes handicapées), mais le dernier mot revient souvent au technicien, les débats étant difficilement compréhensibles sans une maîtrise de certains langages informatiques.

Quels sont les référentiels techniques de référence ?

La référence en Europe, et qui s’impose à la France, c’est le standard européen EN 301 549 (PDF, 1,9 Mo).

La partie du standard européen qui concerne les contenus sur le Web ainsi que les documents non-web (sections 9 et 10) est un renvoi direct aux règles internationales WCAG 2.1. Le consortium W3C les édite (oui, ça fait beaucoup d’acronymes…).

Mais outre le Web, le standard européen couvre également les domaines suivants :

  • les technologies de communication à la voix (transcription textuelle en temps réel de la parole, communication vidéo, alternatives aux services basés sur la voix…)
  • la vidéo (sous-titrage, audiodescription…)
  • le matériel
  • les logiciels
  • la documentation et les services d’assistance
  • les technologies fournissant un relai ou l’accès direct à un service d’urgence.

Dans ce contexte, le RGAA se veut une méthode pour vérifier la conformité au standard européen sur la partie Web et non-web se référant aux règles internationales.

Quelle est l’organisation des règles d’accessibilité web ?

Principes, règles, critères de succès et techniques

Pyramide WCAG 2.1 avec principes, règles, critères et techniques. Description détaillée ci-dessous.

Les règles internationales WCAG 2.1 sont la référence en Europe et en France. On retrouve 4 principes :

  1. Perceptible
  2. Utilisable
  3. Compréhensible
  4. Robuste

De ces 4 principes découlent 13 règles :

  1. Perceptible
    1. Alternative textuelle : Proposer des équivalents textuels à tout contenu non textuel qui pourra alors se présenter sous d’autres formes selon les besoins de l’utilisateur : grands caractères, braille, synthèse vocale, symboles ou langage simplifié. Médias temporels : Proposer des versions de remplacement aux média temporels.
    2. Adaptable : Créer un contenu présentable de différentes manières sans perte d’information ni de structure (par exemple avec une mise en page simplifiée).
    3. Distinguable : Faciliter la perception visuelle et auditive du contenu par l’utilisateur, notamment en séparant le premier plan de l’arrière-plan.
  2. Utilisable
    1. Accessible au clavier : Rendre toutes les fonctionnalités accessibles au clavier.
    2. Temps suffisant : Laisser à l’utilisateur suffisamment de temps pour lire et utiliser le contenu.
    3. Crises et réactions physiques : Ne pas concevoir de contenu susceptible de provoquer des crises d’épilepsie.
    4. Navigable : Fournir à l’utilisateur des éléments d’orientation pour naviguer, trouver le contenu et se situer dans le site.
    5. Modalités de saisie : Faciliter l’utilisation des fonctionnalités à travers une variété de méthodes de saisie au‑delà du clavier.
  3. Compréhensible
    1. Lisible : Rendre le contenu textuel lisible et compréhensible.
    2. Prévisible : Faire en sorte que les pages apparaissent et fonctionnent de manière prévisible.
    3. Assistance de saisie : Aider l’utilisateur à éviter et à corriger les erreurs de saisie.
  4. Robuste
    1. Compatible : Optimiser la compatibilité avec les agents utilisateurs actuels et futurs, y compris avec les technologies d’assistance.

Les 13 règles se déclinent en 78 critères de succès.

Principes, règles et critères de succès sont neutres technologiquement : aucune information sur l’implémentation technique. Seul un objectif fonctionnel et opérationnel se fixe.

Pour savoir quelle technologie ou technique particulière utiliser, + de 600 techniques sont à disposition. Cependant, elles ne sont pas obligatoires. Libre à chacun de valider le critère de succès avec une approche différente de celles listées parmi les techniques référencées.

3 niveaux de conformité : A, double A (AA) et triple A (AAA)

Les critères de succès des WCAG 2.1 s’organise selon un barème en 3 niveaux :

  1. Simple A (A) : ce sont des critères de niveau minimum de conformité
  2. Double A (AA) : ce sont des critères complémentaires, permettant de proposer un niveau d’accessibilité plus avancé
  3. Triple A (AAA) : ce sont des critères spécifiques pour certains types de handicap. Cependant, ils ne peuvent pas forcément se généraliser pour tous les contenus de tous les sites web.

Le niveau légal attendu dans toute l’Union européenne, est le niveau double A (AA).

Pour pouvoir prétendre être conforme au niveau AA, il faut valider tous les critères étiquetés A et AA : les niveaux sont cumulatifs.

Mais les critères triple A (AAA) ne sont pas moins importants. On y trouve par exemple la langue des signes pour les personnes sourdes ou la transcription de textes selon les règles du facile à lire et à comprendre (FALC) pour les personnes handicapées intellectuelles. On y trouve également des recommandations sur des niveaux de contrastes augmentés par rapport aux recommandations du niveau AA, sur des adaptations de textes bénéfiques aux personnes dyslexiques

Les WCAG 2.1 précisent d’ailleurs :

Notez que même un contenu qui se conformerait au plus haut niveau (AAA) ne serait pas accessible aux individus de tous types, degrés ou combinaisons de handicaps, en particulier dans les domaines cognitifs, du langage ou de l’apprentissage. Les auteurs sont encouragés à prendre en compte la totalité des techniques, y compris les techniques consultatives (Advisory Techniques), ainsi que de rechercher des conseils avisés concernant les meilleures pratiques pour s’assurer que les contenus Web sont accessibles, autant que possible, à ces communautés.

Voir le dernier paragraphe de la section 0.2 WCAG 2 Layers of Guidance sur le site des WCAG 2.1

Le standard européen d’accessibilité numérique reprend la liste des critères triple A (AAA) dans son annexe D.

La version actuelle des règles françaises (le RGAA 3) inclut également les critères de niveau triple A (AAA) et affiche clairement l’étiquetage selon si le critère RGAA est de niveau A, AA ou AAA.

Quel est le problème avec la future version du référentiel français : RGAA 4.1 ?

Le RGAA actuellement en vigueur se périme. Il n’est plus à jour avec les nouvelles obligations légales, il n’est pas en conformité non plus avec les nouveaux standards techniques.

La version actuelle du RGAA est la version 3.2017. Elle repose sur une transposition de la version 2.0 des règles internationales alors que la version en vigueur depuis le 5 juin 2018 est la version WCAG 2.1.

Et ce RGAA 3.2017 est une traduction des obligations légales de la première version de la loi accessibilité numérique (article 47 de la loi handicap), votée le 11 février 2005. Une mise à jour de la loi, datant d’octobre 2016, ne fut jamais mise en application.

En revanche, depuis le 7 septembre 2018, l’article 47 de la loi handicap a été mis à jour pour transposer la Directive européenne sur l’accessibilité web. Et c’est désormais le standard européen d’accessibilité numérique, qui va au-delà des règles internationales, qui devient la référence.

Le RGAA doit donc être mis à jour et évoluer vers une nouvelle version. La future version technique opérationnelle devrait être publiée sous le numéro de version RGAA 4.1.

Une version de travail a été publiée suite à une consultation publique. Elle est disponible en téléchargement au format Libre Office texte.

Nous constatons 3 écueils principaux dans l’approche même qui est faite de l’accessibilité numérique dans cette version de travail. Cela semble traduire une dérive purement administrative.

  1. la disparition des critères de niveaux triple A (AAA) du RGAA : l’obligation légale étant le double A (AA), suppression des critères de niveau AAA. Et après discussion, même une publication en annexe a été refusée. Besoin de langue des signes, de textes faciles à lire et à comprendre, d’une adaptation de l’affichage pour compenser une dyslexie… ? Tant pis pour vous !
  2. la fin de l’étiquetage des critères RGAA selon les niveaux A et AA : une mention du niveau du critère WCAG correspondant reste présente en petits caractères, mais les critères RGAA eux-mêmes n’ont plus de niveau. La justification est que le niveau légal attendu étant l’ensemble des critères A et AA, tout doit être respecté sans distinction. Certes, mais c’est nier une réalité très concrète : 95% des sites web aujourd’hui ne respectent pas les règles d’accessibilité. Les 3 niveaux de conformité figurant dans les règles internationales et le standard européen, et ayant toujours figuré dans le RGAA et avant cela, le référentiel AccessiWeb est pratique pour aider les gestionnaires de services numériques à prioriser les corrections.
  3. un focus sur le score de conformité : une nouvelle section expliquant en détails comment calculer le score de conformité au RGAA fait son apparition. Cette clarification ne serait pas un problème en soi, si elle se nuance. Il est en effet essentiel de rappeler les limites d’un tel score et l’inefficacité d’un score de conformité pour évaluer l’accessibilité réelle d’un service numérique.

Puisque la référence tant pour le RGAA que pour le standard européen reste les règles internationales WCAG 2.1, voyons ce que dit le W3C, éditeur des WCAG, de ces scores de conformité :

Même si les scores consolidés fournissent un indicateur numérique pour aider à communiquer sur sa progression dans le temps, il n’existe pour l’heure aucun indicateur connu permettant de rendre des comptes d’une façon fiable, exacte et pratique. En fait, les scores consolidés peuvent induire en erreur et ne fournissent pas suffisamment de contexte ni d’information pour comprendre l’accessibilité réelle d’un site web.

Voir la citation en anglais dans le document méthodologique WCAG-EM (étape 5.d)

Nous voyons que la future version du RGAA préfigure des régressions dans l’approche même qui est faite de l’accessibilité. Il ne sera plus question d’améliorer l’accessibilité pour les personnes handicapées, mais de remplir une contrainte administrative. Le RGAA semble conçu pour aider à fournir l’effort minimum. Et si vous souhaitez aller au-delà ou faire de l’accessibilité pour inclure tous vos utilisateurs sans discrimination, vous n’aurez qu’à vous tourner directement vers les WCAG… Ce n’est plus l’objet du RGAA semble-t-il.

Koena est une entreprise sociale. Nous détenons une expertise technique que nous souhaitons mettre à disposition du plus grand nombre pour démocratiser l’accessibilité numérique. Nous avons déjà alerté quelques associations avec lesquelles nous travaillons. Cet article vise à apporter quelques éclairages pour aider les associations et citoyens qui le souhaitent à se mobiliser. Tant que la version définitive du RGAA 4.1 n’est pas sortie, rien n’est joué !

Nous avons également sollicité l’avis en contactant la Responsable de l’Unité G3 de la Commission européenne. Son objectif est de suivre la bonne implémentation des règles européennes en matière d’accessibilité, de multilinguisme et de sécurité numérique. Avec l’aide de l’association European Disability Forum (merci à Alejandro Moledo et Carine Marzin !), nous leur avons envoyé un argumentaire sur les risques de cette dérive et la non-conformité qu’il existe selon nous entre la version 4.1 du RGAA qui se profile et le standard européen EN 301 549.

Nous vous tiendrons au courant des suites. D’ici là, bonne rentrée !


Texte : Armony Altinier
Illustration :

Un commentaire sur “RGAA 4.1 : vers une dérive administrative de la conformité ?

  1. Bonjour,
    Très bien votre article et merci c’est intéressant. Je suis parfois d’accord mais je ne suis pas tout le temps d’accord avec vous.

    Je pense que les niveaux A, AA ou AAA sont un boulet que traine l’accessibilité depuis WCAG 1 (et ses déclinaisons : Accessiweb, RGAA 1, 2 et 3).
    La « priorité » qu’ils semblent indiquer est factice et surtout injuste : vous choisiriez quoi entre le respect du critère wcag AA 3.2.3 (Navigation cohérente) et le wcag A 1.3.2 (Ordre séquentiel logique) ? Le second parce qu’il est de niveau A ? C’est un jeu de dupe, il n’y a évidemment aucune bonne réponse avec le seul niveau du critère comme indice.
    Et je rajoute les critère AAA 2.5.5 (Taille de la cible), ou 1.2.6 (langue des signes, que vous citez comme exemple) le choix est plus facile ? 😉

    Vous écrivez à juste raison que « 95% des sites web aujourd’hui ne respectent pas les règles d’accessibilité. » Et pourtant jusqu’à maintenant les niveaux A,AA et AAA sont présents partout … Leur supposée efficacité ne semble pas évidente.

    Sur le sujet de ces niveaux, vous souvenez vous du label e-accessible (fourni par l’état) et ses 5 (!) niveaux dont 3 qui étaient inférieurs au minimum exigé par la loi ?
    Et du quatrième niveau, inutile, puisqu’il suffisait de respecter un seul critère de niveau AAA pour atteindre le 5ème niveau (le maximum) du label ? Si un lecteur est perdu en lisant, ce serait normal, la phrase devra être relue pour être comprise ^^
    (Si vous avez des informations sur l’évolution de ce label, je suis preneur !)

    Vous semblez connaître ce métier, je pense donc que vous avez rencontré toute sorte de gens. Et je doute que l’une d’entre elle ait été freinée par la forme d’un référentiel d’évaluation dans sa volonté, si elle est réelle, d’aboutir à un haut niveau d’accessibilité.

    Je suis d’accord avec vous quand vous écrivez sur les limites du score de conformité. Mais c’est un autre boulet que traine l’accessibilité numérique depuis son origine.

    Enfin, sur l’ensemble, il me semble que vous donnez au RGAA une influence qu’il n’a pas. C’est un référentiel surtout technique utilisé par un microcosme d’expert. C’est un outil et comme dans la vie réelle, son usage sera (ou ne sera pas) bon, mais il ne sert à rien de blamer le marteau qui tape sur les doigts 🙂

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