Rapport de la France à la Commission européenne sur la Directive Accessibilité Web : règles du jeu modifiées ?

La loi française sur l’accessibilité du Web est une transposition de la Directive européenne Accessibilité Web. Or, parmi les obligations issues de cette Directive, un rapport devait être publié avant le 23 décembre 2021. 25 des 27 États concernés avaient fait leur rapport, à l’exception de la France et Chypre. Avec 1 an de retard, la France publie enfin son rapport. Entre surprise et consternation, analysons les conséquences de cette publication.

Contexte juridique de la Directive Accessibilité Web

La Directive européenne EU2016/2102, dite WAD de son petit nom pour l’acronyme anglais « Web Accessibility Directive« , est une façon de remplir les exigences de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées.

Pour que la Directive européenne soit pleinement applicable, chaque État-membre doit voter une loi qui précise les exigences de cette directive. En France, c’est notre bon vieil article 47 de la loi handicap de 2005 qui a été mis à jour en 2018 et a désigné le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA) comme le cadre réglementaire à suivre.

Or, la Commission européenne précise un minimum à suivre pour appliquer convenablement la Directive européenne. Ces exigences complémentaires sont applicables à tous les États-membres : c’est bien une obligation, ce n’est donc en rien optionnel. Ces précisions sont issues de négociations entre États-membres et formulées au sein de décisions d’exécution de la Commission. 2 décisions d’exécution de la Commission ont été prises pour la Directive Accessibilité Web :

Exigences concernant le rapport de suivi de la mise en œuvre de la Directive Accessibilité Web

La décision d’exécution (UE) 2018/1524 concerne la mise en place d’une méthode de contrôle et de création des rapports à fournir par les États-membres à la Commission européenne, conformément à la Directive Accessibilité Web. Cette décision d’exécution a été publiée le 11 octobre 2018 et comporte 12 articles et 2 annexes.

On y trouve notamment :

  • la périodicité des contrôles annuels, à faire avant le 22 décembre de chaque année, le premier rapport devant être déposé avant le 23 décembre 2021,
  • le principe d’un double contrôle, approfondi et simplifié,
  • le contenu du rapport, avec un renvoi vers l’annexe 2 qui propose même une structure de base pour le rapport.

L’annexe 1 précise les modalités de contrôle approfondi et détaillé, ainsi que les modalités d’échantillonnage.

L’annexe 2 donne des indications claires et précises sur ce que les rapports doivent comporter.

Contenu des rapports de suivi de la Directive Accessibilité Web (annexe 2)

Le contenu des rapports attendus est très précisément détaillé. L’objectif étant de faciliter le suivi à l’échelle européenne de la mise en œuvre de la Directive Accessibilité Web.

Bien que la forme puisse varier, 5 grandes sections d’information sont attendues :

  1. résumé du rapport
  2. description des activités de contrôle, avec des informations chiffrées sur le nombre de sites et applications mobiles effectivement contrôlées
  3. résultats détaillés du contrôle
  4. présentation détaillée de la procédure permettant d’assurer le respect des dispositions mises en place par les États-membres
  5. contenu lié à des mesures complémentaires.

Le rapport de la France en est-il vraiment un ?

Seuls 2 pays n’avaient pas publié leur rapport dans les temps, dont la France. La date limite était le 23 décembre 2021. Or, le 20 décembre 2022, après 1 an de retard, le site de la Commission européenne listant les rapports de suivi des États-membres concernant la Directive Accessibilité Web a été mis à jour : les rapports de la France et de Chypre étaient enfin disponibles !… Ou pas. Car le lien devant pointer vers le rapport pour la France renvoie finalement seulement à l’observatoire de la qualité des démarches en ligne, qui n’est pas spécifiquement dédié à la mise en œuvre de la Directive européenne et ne reprend pas du tout les mentions exigées dans la décision d’exécution que nous venons de décrire plus haut.

Après avoir téléchargé les 26 autres rapports soumis à la Commission européenne et listés sur le site dédié, il semble que seule la France se distingue par une non conformité totale aux exigences de Bruxelles en matière de formalisme. Il est donc impossible de réellement comparer les résultats de ce « rapport » de la France avec ceux des autres pays.

Mais outre la forme, le fond nous semble encore plus problématique, brouillant les cartes sur la conformité avec la Directive et modifiant, l’air de rien, les règles du jeu de la conformité.

Mention obligatoire : conformité totale, partielle… ou non-conformité : une baisse des exigences

Ce sujet est vraiment aride, et nous essayons de l’expliquer au mieux, ce qui n’est pas aisé. Pourtant, derrière ces questions juridiques âpres et ces calculs complexes, se cachent des enjeux sociétaux extrêmement importants pour l’accès au numérique des personnes handicapées.

Parmi les exigences « bureaucratiques » liées à la Directive européenne, il y a l’obligation de publier une mention précisant dans quelle mesure le service numérique est conforme à la loi.

3 mentions sont disponibles, à charge pour chaque État d’en préciser les contours. Pour la France, c’est donc le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA) qui en donne la définition suivante, à la section « Mentions obligatoires sur la page d’accueil » :

La page d’accueil des services de communication au public en ligne affiche obligatoirement l’une des mentions suivantes :

  • « Accessibilité : totalement conforme » si tous les critères de contrôle du RGAA sont respectés ;
  • « Accessibilité : partiellement conforme » si au moins 50 % des critères de contrôle du RGAA sont respectés ;
  • « Accessibilité : non conforme » s’il n’existe aucun résultat d’audit en cours de validité permettant de mesurer le respect des critères ou si moins de 50 % des critères de contrôle du RGAA sont respectés.

Cette mention peut être cliquable et conduire vers la page Accessibilité ou vers la déclaration d’accessibilité.

Section « Mention obligatoire sur la page d’accueil » du RGAA.

Ainsi, un site web ayant un résultat d’audit révélant un taux de critères respectés de 30% devra affiché la mention « Accessibilité : non-conforme ».

Or, l’Observatoire de la qualité des démarches en ligne fonctionne différemment.

Le critère « Prise en compte handicaps » est le seul a priori à pouvoir faire office de « rapport » sur la Directive Accessibilité Web. Lorsqu’on clique pour en savoir plus sur le critères « Prise en compte handicaps », ce critère est décomposé en 2 sous-critères :

  • sous-critère 1 : Présence d’une déclaration d’accessibilité valide de moins de 3 ans
  • sous-critère 2 : Taux de conformité supérieur à 75% atteint dans la déclaration d’accessibilité

Et l’évaluation se fait de la manière suivante :

La démarche est au vert (« oui ») si les deux critères sont respectés, à orange (« partiel ») si seul le premier critère est respecté et à rouge (« non ») si aucun des deux critères n’est respecté.

Critères et règles de notation de l’Observatoire des démarches en ligne

Ainsi, il suffit d’avoir une déclaration d’accessibilité indiquant « non-conforme » pour être partiellement conforme dans les résultats de l’Observatoire…

Illustrations de la contradiction sur la mesure de la conformité

Nous pouvons illustrer 3 cas de contradiction entre ce qui est déclaré à la Commission européenne, et les règles du jeu françaises telles que la loi et le RGAA les décrivent.

Des conformités partielles… pour des déclarations d’accessibilité non-conformes

Le service « Déclaration de ressources pour la détermination des droits à prestations pour les assurés du régime agricole » du Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a la mention « Partiel » sur le critère « Prise en compte handicaps ». Or, quand on déplie le détail, on peut lire : « Pourcentage de conformité au RGAA30.0 % ». Or, 30% correspond selon le RGAA à une mention « Accessibilité : non-conforme ».

Capture d'écran de l'Observatoire illustrant ce qui est décrit ci-dessus concernant le service du Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire.
Capture d’écran de l’Observatoire au 10 janvier 2023 : service du Ministère de l’Agriculture

Une absence d’indication non-conforme… alors qu’aucune déclaration n’a été remontée

Parmi les 2 sous-critères de l’Observatoire des démarches en ligne, l’absence de déclaration (sous-critère 1) devrait entraîner la mention « Non » au critère « Prise en compte handicaps ». Ce qui est également précisé dans la définition donnée par le RGAA.

Or, la démarche « Inscription en universités » du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche indique « n/a » pour non-applicable, alors qu’aucune information de déclaration d’accessibilité n’a été remontée. En l’absence de déclaration, c’est la mention « non » qui devrait s’afficher selon les règles de l’Observatoire pourtant…

Capture d'écran du service d'inscription en universités, avec n/a sur le critère "Prise en compte handicaps", tels que décrit ci-dessus.
Capture d’écran de l’Observatoire au 10 janvier 2023 : service du Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Des mentions à la conformité « oui » dans l’Observatoire, pour des déclarations d’accessibilité « partiellement conformes »

Dernier cas que nous illustrons : le service de Vote pour les Français de l’Étranger aux élections législatives du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères qui indique au critère « Prise en compte handicaps » : oui. Or, le score de 79% permet bien de renseigner les 2 sous-critères de l’Observatoire, mais diminue l’exigence légale définie dans le RGAA et qui indique que seul un score de 100% permet d’indiquer la conformité totale. Ce service aura donc une déclaration d’accessibilité indiquant « Accessibilité : conformité partielle », tout en indiquant un « Oui » à l’Observatoire.

Capture d'écran du service de vote tel que décrit ci-dessus.
Capture d’écran de l’Observatoire au 10 janvier 2023 : service du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

Une insécurité juridique dommageable pour les personnes handicapées, les administrations… et les entreprises !

Dans un contexte déjà complexe, où les compétences en accessibilité numérique manquent pour mettre en œuvre la Directive européenne, et alors que l’accessibilité légale peine à devenir une réalité, ces publications contradictoires et faites sans concertation rendent difficile l’émergence d’un secteur professionnel sérieux pouvant accompagner sereinement les administrations et autres entreprises et organisations dans la prise en compte des exigences légales.

Les premières victimes de cet état de fait sont évidemment les personnes handicapées pour qui l’accessibilité reste pour le moment de la communication avec peu d’effet réel sur l’accessibilité.

Nous espérons qu’une concertation urgente des parties prenantes aura lieu afin de clarifier cette situation.


  • Texte : Armony Altinier
  • Date de publication : 10 janvier 2023
  • Mise à jour le 11 mai 2023 (correction de date de capture d’écran prises en 2023 et non en 2022)

Un commentaire sur “Rapport de la France à la Commission européenne sur la Directive Accessibilité Web : règles du jeu modifiées ?

  1. Il existe des facteurs supplémentaires à prendre en compte.

    1/ La loi de 2005 ne prévoit que 2 possibilités pour la mention d’accessibilité: « une mention clairement visible précisant s’il est ou non conforme aux règles relatives à l’accessibilité ». Il n’existe pas légalement en France de niveau « partiellement conforme », qui est un niveau uniquement indicatif figurant dans la déclaration d’accessibilité française ou européenne.
    2/ Le décret de 2019 prévoit le RGAA comme étant une méthodologie technique de vérification de la norme : cette norme est la norme européenne.
    3/ Le modèle de déclaration européenne d’accessibilité établi dans la décision 2018/1523 censé aider à une harmonisation européenne indique que le niveau doit être établi sur la base de la norme ou des spécifications techniques. Ces éventuelles « spécifications techniques » européennes sont précisées à la note (55) de la directive. Le RGAA n’est ni une norme ni une spécification technique au sens de la directive.

    Dans le RGAA, en indiquant pour référence les critères du RGAA lui-même (pour la plupart assez triviaux) et non la norme européenne, il y a déjà erreur. Tout l’intérêt d’avoir une harmonisation européenne est de pouvoir comparer de manière neutre les résultats via des procédures harmonisées au niveau européen.

    En plus, le RGAA redéfinit le niveau « partiellement conforme » normalement réservé à la présence de « quelques exceptions » à la norme en lui permettant la moitié des échecs et sur sa propre échelle de notation…

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