Koena a été assignée en justice par FACIL’iti pour dénigrement commercial le 21 juin 2021. Nous avons déposé nos conclusions en réponse à cette assignation le vendredi 12 novembre à 14h. Nous vous proposons d’en prendre connaissance.
Sommaire de l’article
- Dans les épisodes précédents
- Plan commenté des conclusions
- Extrait des attestations reçues en soutien à la défense de Koena
- Téléchargement des conclusions et pièces jointes
- Et après ?
- Un mot pour conclure
Dans les épisodes précédents…
- Koena a publié 2 tweets se répondant l’un l’autre le 23 mars 2021. Nous dénoncions les « propos mensongers » de FACIL’iti, en renfort d’un tweet d’une internaute aveugle que nous mentionnions. Et nous appuyions nos propos en pointant certains cas d’usage où la solution développée par FACIL’iti ne permet pas l’accessibilité.
- Le 22 avril 2021, Koena recevait une mise en demeure de la part de FACIL’iti lui intimant de supprimer ces 2 tweets, que nous publiions alors en répondant : non.
- Le 3 mai 2021, Koena reçoit un deuxième courrier de l’avocat de FACIL’iti nous informant de suites judiciaires à venir.
- Le 21 juin 2021, nous recevions l’assignation en justice de FACIL’iti pour dénigrement commercial, avec demande de retrait des 2 tweets, et le paiement de 11000 euros : soit 5000 euros de dommages et intérêts et 6000 euros de dédommagement des frais de justice engagés.
- Le 2 septembre 2021, le tribunal a fixé le calendrier de la procédure et a laissé à Koena jusqu’au 12 novembre 2021 pour rendre nos conclusions.
- Le 12 novembre 2021 à 14h00, notre avocat, Maître Matthieu Juglar, a déposé nos conclusions au tribunal. Ce sont ces conclusions que nous vous proposons de lire, pour continuer à alimenter ce débat qui nous semble nécessaire et que FACIL’iti aimerait faire taire. Vous aurez ainsi toutes les pièces pour vous forger votre propre opinion et prendre part, si vous le souhaitez, à la « grande conversation mondiale sur l’accessibilité web » pour reprendre les mots de Lainey Feingold…
À propos des surcouches d’accessibilité et de cette affaire…
Si vous n’êtes pas familiers des surcouches d’accessibilité, nous vous invitons à prendre connaissance :
- du dernier article sur les surcouches d’accessibilité de l’avocate américaine Lainey Feingold traduit sur le blog de Koena,
- des ressources et du manifeste publiés sur le site Overlay Factsheet (en anglais) initié par Karl Groves,
- de la série d’article que nous consacrons à l’affaire FACIL’iti sur le blog de Koena.
Plan commenté des conclusions de Koena
Les documents remis au Tribunal de Commerce de Paris vendredi 12 novembre 2021 sont composés essentiellement de 2 éléments :
- Un document appelé « Conclusions » : il s’agit du document principal qui donne une réponse argumentée de la part de Koena aux accusations de FACIL’iti, sur la base d’éléments juridiques et factuels.
- Les pièces jointes : ce sont des éléments de preuve qui viennent en appui de la démonstration faite dans les conclusions.
Ces documents étant assez longs, nous vous les fournissons en téléchargement ci-dessous pour les personnes les plus curieuses d’entre vous. Et nous vous reproduisons au sein de cet article le plan commenté des conclusions.
Les conclusions sont composées de 3 grandes parties :
- Exposé des faits de la procédure
- Discussion
- Par ces motifs : c’est la partie où sont formulées les demandes de Koena au Tribunal.
I. Exposé des faits de la procédures (p.2 à 6)
Cette section est composée comme suit :
- Présentation des parties
- La société FACIL’iti
- La société Koena
- Les Tweets incriminés
- La procédure.
Notons dans la section consacrée à la société FACIL’iti que notre avocat, au regard aiguisé, fait référence à une vidéo de FACIL’iti comme suit :
Une vidéo sur YouTube présente FACIL’ITI comme permettant d’adapter un site Internet immédiatement. Notons, au passage, que cette vidéo n’est pas audiodécrite.
Conclusions, p.3
Nous ne donnerons pas plus de détail sur cette section, qui est essentiellement un rappel des faits. Nous vous laissons le soin de lire si vous le souhaitez.
II. Discussion (p.6 à 17)
Cette partie est la plus fournie : elle détaille les arguments de Koena. Elle est composée de 4 grandes sections :
- in limine litis : sur la qualification à retenir et ses conséquences sur la validité des poursuites.
- Sur l’absence de caractérisation de dénigrement
- À titre reconventionnel : sur la caractérisation des pratiques commerciales déloyales commises par FACIL’ITI au préjudice de KOENA
- Sur les dépens et les frais irrépétibles
II. A. in limine litis : sur la qualification à retenir et ses conséquences sur la validité des poursuites (p.7-8)
Cette section discute du fondement juridique de l’accusation de FACIL’iti portant sur le dénigrement commercial. Nous nous efforçons de démontrer que cette qualification n’est pas valable et que c’est la loi sur la diffamation qui devrait s’appliquer. Ce qui rend caduque la plainte de FACIL’iti.
Cette démonstration est faite en 3 parties :
- Application de la qualification de diffamation
- Sur les conséquences de la qualification : la nullité de l’assignation
- Sur l’incompétence matérielle du Tribunal de commerce
II.B. Sur l’absence de caractérisation de dénigrement
Cette section répond directement aux accusations de dénigrement, puisque c’est sur cette base que nous sommes attaqués. Même si nous ne pensons pas que la base légale soit pertinente pour étudier l’affaire (d’où la section précédente), il est nécessaire de répondre sur le fond.
La qualification du dénigrement commercial s’étudie à l’aune d’un faisceau d’indices complet qui doit reposer sur 3 éléments :
- la critique systémique,
- la critique répétitive,
- la véracité des propos tenus.
Les 2 premiers points tombent tous seuls. Rappelons qu’il ne s’agit que de 2 tweets.
Le 3e point, la véracité des propos tenus, est celui que nous nous attachons à prouver, grâce au concours précieux de plusieurs témoins que je remercie encore ici publiquement pour les attestations produites.
Dans cette section, nous utilisons l’attestation de Christian Volle, de l’association Valentin Haüy, qui verse au dossier une étude de cas complète sur la Brigade des Sapeurs Pompiers de Paris qui utilise FACIL’iti et n’est pas accessible.
Mais c’est surtout dans la section suivante que nous appuyons nos propos.
II.C. À titre reconventionnel : sur la caractérisation des pratiques commerciales déloyales commises par FACIL’ITI au préjudice de KOENA (p.11 à 17)
Cette section, c’est la contre-attaque de Koena, un « Contre Uno » judiciaire en quelque sorte. Nous saisissons l’occasion offerte par l’assignation de FACIL’iti (que je n’irai quand même pas jusqu’à remercier, hein) pour lever le voile sur les pratiques commerciales trompeuses de FACIL’iti qui nuit aux défenseurs de l’accessibilité numérique depuis des années.
Cette section est composée comme suit :
- Sur le comportement fautif de FACIL’ITI
- En droit
- En l’espèce
- Le préjudice résultant des actes de concurrence déloyale
- Sur les dommages-intérêts
- Sur les mesures de publication
Je vous livrerai les extraits des attestations reçues ci-dessous pour vous faire une idée, mais je vous invite vraiment à lire le texte complet.
Pour résumer, nous démontrons :
- que l’accessibilité numérique est définie par un cadre juridique très complet et précis,
- que FACIL’iti ne fait pas de l’accessibilité numérique,
- qu’en disant faire de l’accessibilité numérique, FACIl’iti fait une utilisation trompeuse de la définition à des fins commerciales,
- qu’en utilisant des arguments commerciaux inexacts, FACIl’iti détourne une clientèle à la recherche d’accessibilité numérique, au détriment de Koena (et de tout professionnel faisant réellement de l’accessibilité numérique).
J’ajouterais à cela, que cette pratique nuit à un enjeu d’intérêt général, le développement de l’accessibilité numérique pour les personnes handicapées, ce qui est repris dans la section « II.A. in limine litis ».
Nous demandons à l’appui de cette démonstration :
- des dommages et intérêts. Pour évaluer le montant, nous demandons une expertise,
- la publication sur le site de FACIL’iti du jugement pendant 2 mois pour informer que l’utilisation des termes « accessibilité numérique » a été abusif et constitutif d’une pratique commerciale déloyale, trompeuse et condamnée par le tribunal,
- l’arrêt de l’utilisation du terme accessibilité pour parler des solutions de FACIl’iti, sous peine d’une astreinte de 1000 euros par jour et par infraction constatée.
II.D. Sur les dépens et les frais irrépétibles (p.17)
Comme de juste dans ce type d’affaire, nous demandons la prise en charge des frais de justice engagés, à hauteur de 5000 euros.
Par ces motifs (p.17-18)
Cette section est un simple résumé des demandes adressées à la Cour en faveur de Koena et contre FACIl’iti.
Extraits des attestations reçues en soutien à la défense de Koena
Dès la première mise en demeure, nous avons décidé de tout rendre public. Nous sommes les premiers à l’avoir fait, alors qu’une bonne dizaine de personnes avant nous avaient déjà reçu ce type de mise en demeure plusieurs mois auparavant.
Il nous semblait important de dénoncer cette pratique visant à taire un débat essentiel et à alerter le public sur le sujet de l’accessibilité numérique, véritable atteinte selon nous à l’exercice sain et légitime de la liberté d’expression.
Cette publication a permis de dévoiler cette pratique de mise en demeure systématique, que le grand public ignorait. Nous avons eu la chance de bénéficier de nombreux soutiens sur le Web, comme la motion de soutien à Koena publiée le 27 mai 2021 par Cinov numérique syndicat des TPE, PME et indépendants du numérique.
Parmi ces soutiens, certains ont rédigé une attestation en vue d’être produite pendant le procès. Nous avons donc pu joindre à nos conclusions 6 attestations. Je n’ai pas réussi à joindre l’une des personnes pour m’assurer de son accord avant publication. J’ai donc pour le moment anonymisé son témoignage qui figure dans les conclusions, et je ne reproduis pas encore cet extrait ici, ni ne mettrai à disposition l’attestation complète.
En revanche, c’est avec leur accord que je vous livre ici les 5 autres attestations, qui sont les suivantes :
- Christian Volle, ingénieur de formation, administrateur et bénévole de l’Association Valentin Haüy (AVH),
- Pierre Reynaud, référent accessibilité numérique de l’Université de La Réunion,
- Fernando Pinto Da Silva, fondateur du Centre d’Évaluation et de Recherche sur les Technologies pour les Aveugles et les Malvoyants (Certam) de l’AVH, vice-président du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH) où il anime les travaux de la commission Accessibilité, Conception universelle et Numérique,
- Stéphane Deschamps, Référent Accessibilité numérique au sein d’Orange France (Direction Digitale Grand Public), et l’un des initiateurs de la surcouche de personnalisation libre et open source Confort + d’Orange,
- Vincent Aniort, ingénieur informatique, expert accessibilité numérique chez Orange SA, référent en accessibilité dans des associations de personnes en situation de handicap (CFHE, Conseil Français du Handicap pour les questions Européennes ; FIRAH, Fondation Internationale de Recherche Appliquée sur le Handicap ; CNCPH, Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées ; APF France Handicap).
Ci-dessous, les extraits des attestations citées dans nos conclusions.
Extrait pièce-jointe 10 : attestation de Christian Volle
S’agissant de la véracité des propos tenus, il importe de rappeler que, selon la jurisprudence, une information exacte sur les qualités objectives que l’on peut attendre d’un produit, en l’absence de toute autre circonstance, ne peut s’apparenter en un dénigrement.
Tel est bien le cas en l’espèce, puisque KOENA n’a fait que souligner la faille de FACIL’ITI, à savoir le fait qu’elle ne permettait pas de rendre un site Internet accessible. D’ailleurs, ce défaut a pu être relevé par d’autres, notamment d’éminents acteurs de l’accessibilité numérique, sur des sites Internet équipés de la solution de FACIL’ITI. Si celle-ci offre effectivement un confort aux utilisateurs, elle ne saurait supplanter une mise en accessibilité.
Référence à l’attestation de Christian Volle, Conclusions, p.10.
Extrait pièce-jointe 11 : attestation de Pierre Reynaud
« L’accessibilité du Web signifie que les sites Web, les outils et les technologies sont conçus et développés pour que les personnes handicapées puissent les utiliser. Plus précisément, les gens peuvent : percevoir, comprendre, naviguer et interagir avec le Web, contribuer au Web.
La 2ème définition de l’accessibilité web découle de la première et c’est elle qui fait loi en France et qui régit sa mise en œuvre. Vous la trouverez sur la page du RGAA (Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité) :
Extrait de l’attestation de Pierre Reynaud, Conclusions, p.13-14
L’accessibilité numérique consiste à rendre les services de communication au public en ligne accessibles aux personnes handicapées ».
Extrait pièce-jointe 12 : attestation de Fernando Pinto Da Silva
D’un point de vue strictement légal ces solutions dites « innovantes » ne permettent pas d’atteindre le niveau exigé en Europe : si on garde à l’esprit que 106 critères doivent être respectés, une dizaine d’entre eux peuvent, tout au plus, être adressés par ce type d’outils. On est donc loin de l’universalité prônée par le W3C et exigée par la directive européenne UE 2016/2102.
Déployer ce type d’outils ne rend donc pas un site internet accessible et n’exonère en rien l’éditeur de faire le nécessaire pour que ce site soit Perceptible, Utilisable, Compréhensible et Robuste (ce qui souvent n’est d’ailleurs pas toujours compris des donneurs d’ordre qui estiment avoir rendu leurs services accessibles en ayant fait appel à ce type de solutions innovantes et pensent, à tort, être en règle au regard des exigences en matière d’accessibilité numérique).
Extrait de l’attestation de Fernando Pinto Da Silva, Conclusions, p.14-15
Extrait pièce-jointe 13 : attestation de Stéphane Deschamps
Stéphane DESCHAMPS, Référent Accessibilité numérique chez ORANGE, rappelle encore que la facilitation proposée par des solutions telles que FACIL’ITI ne constitue pas pour autant une accessibilité au sens de la loi. Là où la facilitation peut apporter un plus grand confort à certains utilisateurs, l’accessibilité doit permettre à tous de naviguer sur un site Internet.
Il n’est ainsi pas possible de proposer une solution « clé en main » pour la mise en accessibilité d’un site Internet.
Mention de l’attestation de Stéphane Deschamps, Conclusions, p.15.
Extrait pièce-jointe 14 : attestation de Vincent Aniort
(…) Ce que je reproche et que je pointe du doigt au sujet de la société Facil’iti, est son discours commercial fallacieux voire résolument trompeur. En effet, elle sous-entend que sa solution permettrait de rendre accessible les sites Web qui en sont équipés. Cela est parfaitement faux, le seul et unique moyen de rendre accessible à tous un site Web est de se conformer au WCAG 2.1 AA, comme le prévoit la loi et non en rajoutant une surcouche logicielle sur un site non accessible. Ce discours trompeur fait mouche sur les décideurs peu au fait des normes d’accessibilité et qui sont séduits par une solution clé en main, prête à l’emploi où il suffit de payer pour que tout devienne, comme par magie, accessible ». (Soulignements ajoutés)
Extrait de l’attestation de Vincent Aniort, Conclusions, p.15
Téléchargement des conclusions et pièces jointes
Vous pouvez télécharger :
- Conclusions de Koena en réponse à FACIL’iti déposées le 12 novembre 2021 (PDF, 645 Ko),
- Pièce 10 : attestation de Christian Volle (PDF, 340 ko),
- Pièce 11 : attestation de Pierre Reynaud (PDF, 67,4 ko),
- Pièce 12 : attestation de Fernando Da Silva (PDF, 165 ko),
- Pièce 13 : attestation de Stéphane Deschamps (52,4 ko),
- Voir la version de l’attestation de Stéphane en ligne sur son blog.
- Pièce 14 : attestation de Vincent Aniort (PDF, 149 ko).
Et après ?
Les avocats de FACIl’iti ont jusqu’au 10 décembre 2021 pour rendre leurs conclusions au Tribunal. Ensuite, nous aurons à notre tour du côté de Koena un délai pour prendre connaissance des documents de FACIL’iti et y répondre si cela paraît utile.
Le temps judiciaire est un temps long. Ce petit jeu d’écritures avec des allers-retours de conclusions durera autant que nécessaire et il est bien difficile de savoir quand le juge pourra enfin prendre connaissance du dossier pour statuer.
Dans tous les cas, nous ferons notre possible pour vous tenir informés, comme nous tâchons de le faire dès le premier jour, sur le site de Koena et sur Twitter.
Un mot pour conclure
Je tiens à remercier ici publiquement toutes les personnes qui ont apporté leur concours dans cette affaire : notre avocat, Matthieu Juglar, très impliqué, les personnes ayant produit une attestation (votre expertise et votre concours sont tellement précieux !), mais aussi toutes les personnes qui nous témoignent leur soutien par courriel ou sur le Web et les réseaux sociaux. Un grand merci pour votre soutien et pour votre engagement. Ces engagements prouvent que cette affaire va bien au-delà de Koena, mais vise plus globalement les personnes qui défendent une certaine vision de l’accessibilité numérique. Car c’est bien de cela dont il s’agit.
Le procès FACIL’iti contre Koena aura pour conséquence de poser sans équivoque les termes du débat : qu’a-t-on le droit de définir comme étant de l’accessibilité numérique ?
Malgré le côté éprouvant d’une telle affaire, espérons que l’issue en sera heureuse et qu’elle permettra de faire avancer les choses, en France et peut-être même au-delà, pour que l’accessibilité numérique puisse se développer comme elle le devrait, au bénéfice des premières personnes concernées : les personnes handicapées.
- Texte : Armony Altinier
- Date de publication : 15 novembre 2021
- Image d’illustration en en-tête : Mohamed Hassan via Pixabay